WILLIAM FRIEDKIN
The man comes around


Posté le 20.10.2017 à 10H00


 

C’est au son de The man comes around du légendaire homme en noir, Johnny Cash, que s’égrènent les séquences du petit film de montage consacré au héros du jour. Lorsque la lumière se rallume dans ce théâtre bonbonnière aux murs tendus de rouge c'est une autre légende, à son tour tout de noir vêtue mais bien vivante celle-ci, qui fend la foule comme on marche sur l'eau. Bill Friedkin is in town !

 

Friedkin Lbenoit© Institut Lumière / Loic Benoit

Pendant près d'une heure et demie, avec l'aisance et la faconde d'un comédien de stand-up, il va régaler la salle d'anecdotes tour à tour glaçantes ou irrésistibles. Sur ses débuts nous apprenons que ses études, fort brèves, furent celles d’un cancre qui ne prenait rien au sérieux, pas même le cinéma et que ce n’est que sur la recommandation d’un ami fiable qu’il se confronte pour la première fois, il a vingt ans alors, à un film conséquent, Citizen Kane. Excusez du peu ! Le film est en programme permanent, « et depuis la séance de midi jusqu’à la fermeture, j’ai enchaîné les projections. Et puis je suis rentré chez moi en me disant je ne sais pas exactement ce que je viens de voir mais ce que je sais c’est que c’est exactement ça que je veux faire ! »

Plus tard, un prêtre protestant qui officie dans le couloir de la mort, étrangement croisé au cours d’une soirée mondaine, l’alerte sur un condamné à mort qui lui semble injustement accusé. Friedkin rebondit sur l’occasion pour filmer son premier documentaire, grâce auquel il parviendra à sauver la tête de cet homme ! Il enchaîne sur son rapport à Dieu et au Diable qui semblent, au vue de son expérience, tous deux le couvrir d’un regard bienveillant. Ainsi, pour French Connection, il se voit imposer contre son gré Gene Hackman pour lequel il nourrit une défiance réciproque : « Quand j’ai rencontré Hackman je me suis dit, voilà le type le plus chiant du monde ! J’ai prévenu mon producteur qu'il n’était pas question une seconde que ce type joue Popeye mais je n’ai pas eu le choix et on s’est engueulé presque chaque jour du tournage. Finalement Gene a obtenu son premier Oscar ! »

Quand à Fernando Rey, son directeur de casting l'avait confondu avec Francisco Rabal ! « Je décide d’accueillir moi-même à l’aéroport l’acteur inquiétant que j’avais repéré dans le Belle de jour de Buñuel pour le mener à son hôtel et je vois débarquer pour interpréter mon trafiquant de drogues, supposément gangster corse, un type qui avait la tête du Roi d’Espagne ! » Friedkin prend sur lui et, tout en conduisant, questionne cet espagnol pur sucre : « Vous n’avez pas joué dans Belle de jour, n’est-ce pas ? "Oh non, non, j’ai joué dans des films de Buñuel mais pas celui là !" Et il ajoute : "Vous savez, je parle très peu français, vraiment très peu ! je suis espagnol". Je l’ai posé à son hôtel et j’ai aussitôt appelé mon producteur et mon directeur de casting en disant : bande de nazes vous avez casté le mauvais type, virez-le ! Mon directeur de casting m’a alors répondu : "Oui, je me suis trompé, le type que tu cherchais s’appelle Francisco Rabal !" On s’est renseigné et non seulement Rabal était aussi espagnol, ne parlait pas UN mot de français ou d’anglais et, de plus, était déjà engagé ailleurs ! Voilà comment Fernando Rey a eu le rôle, c’est une illustration parfaite de mon génie ! »

Plus loin le cinéaste est questionné sur la fameuse poursuite de French Connection sous le métro newyorkais. « J’avais vu Bullit, me disant : c’est vraiment le meilleur film de détective jamais réalisé aux États Unis. Pourtant la poursuite me posait un problème car, si vous regardez bien, il est clair qu’ils ont vidé les rues de San Francisco avant de lancer les voitures des deux poursuivants. J’avais conscience d’être confronté à un gros challenge, car ça reste un pur défi de mise en scène, alors je me suis dit il te faut inventer quelque chose de différent. Et puis, quand on a commencé French Connection, il n’y avait pas de poursuite prévue dans le script, il n’y avait pas de script du tout d’ailleurs ; ce qui n’a pas empêché que l’on reçoive l’Oscar du meilleur scénario ! Un jour, avec mon producteur, nous avons eu cette idée d’une poursuite entre un type retranché dans le métro aérien et le flic qui le poursuit en dessous, au volant de sa voiture. Nous avons donc rencontré le responsable de la communication de la R.A.T.P locale. Il m’a laissé exposer mon idée, m’a regardé droit dans les yeux et a laissé tomber : "Vous devez être complètement cinglé !" » Aussitôt, le cinéaste comprend que l'affaire est sérieusement compromise et s’apprête à quitter son bureau, prêt à tourner sans autorisation, quand l’autre le rattrape ; « Qu’est-ce que vous avez ? Vous venez de dire que c’était impossible ! "J’ai dit PRESQUE impossible !" » Le producteur de Friedkin, un Sicilien, comprend immédiatement et dit : « Combien ? » L’autre ne se démonte pas et répond : « 40 000 dollars et un aller simple pour la Jamaïque ! » Et Friedkin de l’interroger : « Pourquoi un aller simple ? "Parce que si je vous donne l’autorisation pour tourner ça je serai aussitôt viré alors j’irai vivre le restant de ma vie en Jamaïque." Ce qu’il a fait ! »

De la même manière que pour caster la petite de L’Excorciste, après avoir considéré en vain des milliers de candidatures, il se trouve un jour dans les bureaux de la Warner, sis au 666 Fifth Avenue, New York, (sic !), dont une certaine Mme Blair et sa petite fille Linda, venues sans rendez-vous, font le siège. « À la seconde où Linda a passé la porte de mon bureau, j’ai su que c’était elle ! Je lui dis : tu sais de quoi parle L’Excorciste ? "Oui j’ai lu le livre ! Elle fait des trucs pas bien et elle se masturbe avec un crucifix." Je lui dis : tu sais ce que signifie se masturber ? Elle me répond : "oui c’est comme se branler !" Et tu l’as déjà fait ? Elle me dit : "oui ! pas vous ?" »

 

Pierre Collier

Catégories : Lecture Zen