La Croisière du Navigator

C’est Fred Gabourie, conseiller technique de Keaton, qui découvre le Buford (le vrai nom du Navigator) alors qu’il fait des repérages pour un autre film. Il informe le cinéaste de sa trouvaille et de son imminente destruction. Keaton décide dans l’instant de récupérer le navire : il trouvera bien que faire de cet encombrant accessoire.

« On dit […] que le comique des burlesques muets était indissolublement lié aux objets, ceux-ci jouant un rôle essentiel dans la plupart des gags visuels. The Navigator marque l’apogée de cette forme de comique. » (Jean-Pierre Coursodon, Buster Keaton, Seghers). Ici le navire est à la fois le lieu (quasi) unique de l’intrigue, un formidable accessoire, un décor très visuel, mais aussi un protagoniste. Dans ce naufrage sans île déserte, notre millionnaire est peu aguerri à la chose maritime. Inadapté, il doit pourtant agir par lui-même (et, pour une fois, sans domesticité). N’espérant rien maîtriser, le duo s’adapte progressivement au monde qui l’entoure, à des événements hors de contrôle et se laisse porter par le courant. « L’immensité du paquebot, jointe à l’impossibilité où les personnages se trouvent de le quitter, tend à en faire une sorte de microcosme. […] Le film, ainsi, se présente comme une sorte de Genèse, mais une sorte de Genèse positive, si l’on peut dire, sans Dieu, ni péché originel, qui consiste principalement en la conquête de l’univers par le couple, et la recréation d’un Eden sur terre, ou plutôt sur mer. » (Jean-Pierre Coursodon, op. cit.)

La Croisière du Navigator fut le plus gros succès en termes de recettes de la carrière de Keaton. Une belle récompense pour un film oscillant entre burlesque et douce fantaisie, grâce à une formidable scène sous-marine qui bénéficia de toutes les attentions du cinéaste, de son génie technique et de sa pugnacité lors d’un tournage très difficile par six mètres de profondeur. Et toujours sans doublure !