BERTRAND TAVERNIER
repart en Voyage à travers le cinéma français


Posté le 16.10.2017 à 13H00


 

"Il faut combattre l'idée que les seules œuvres intéressantes sont celles qui viennent de sortir."

Parmi les moments rares offerts au public de cette édition : la primeur de Voyages à travers le cinéma français, une plongée passionnément subjective, en huit épisodes (soit près de sept heures et demie) dans le cinéma français des années 1930 à 1970, signée par Bertrand Tavernier. Entretien avec le cinéaste, président de l'Institut Lumière.

 

15 Oct Bertrand Tavernier Festival Lumiere 2017 S THESILLAT 9341

© Institut Lumière / Sandrine Thésillat


Les festivaliers avaient déjà pu suivre la genèse de son documentaire Voyage à travers le cinéma français. Sorti l'an dernier et sélectionné dans les festivals de Sundance, Cannes (dans la section Cannes Classics), Telluride, New York, San Sebastián, il avait été projeté à Lumière 2016. Cette fois, ils seront les seuls à découvrir cette série-odyssée en huit chapitres, bientôt diffusée à la télévision, sur Ciné Plus puis sur France 5, dans une salle de cinéma.  Ce "vagabondage" assumé part des cinéastes de chevet du réalisateur, qui leur consacre deux épisodes, se poursuit avec les chansons, Julien Duvivierle cinéma sous l’Occupation, l’avant et l’après-guerre, se penche sur des cinéastes méconnus et explore les années 60. Ce travail de "passeur", d'autres réalisateurs comme "Martin Scorsese, Quentin Tarantino, Alexander Payne, Joe Dante le font aux Etats-Unis, et en France, un acteurs comme Vincent Lindon", souligne-t-il. "On ne doit pas être nostalgique, il faut être ouvert et intéressé par ce qui se passe au présent", dit Bertrand Tavernier qui sort justement de la projection de The Shape of water, le dernier film du Mexicain Guillermo del Toro, qu'il a trouvé "formidable".

"Mais il faut aussi combattre l'idée que les seules œuvres intéressantes sont celles qui viennent de sortir", poursuit-il. "Les cinéastes précédents ont défriché la voie: si j'ai pu faire mes films avec une vraie liberté, je le dois à toutes les batailles énormes qu'ont dû mener des gens comme Julien Duvivier, comme Claude Autant-Lara, Jacques Becker, Jean Grémillon, des batailles contre les financiers, contre la censure. Il faut savoir être reconnaissants vis-à-vis de ça", affirme le cinéaste, toujours heureux de rendre hommage à ceux ont forgé sa cinéphilie. Mais à la télévision, si Arte "fait un travail magnifique", "il y a une sorte de panique devant le patrimoine et devant le noir et blanc, comme si c'était une maladie contagieuse…"regrette-t-il. En outre aujourd'hui, parmi "tous les films français recensés par le CNC, il y en a moins d'un tiers qui sont disponibles, tous supports confondus, dans des conditions légales, à des prix décents, malgré l'effort formidable fait par Gaumont et Pathé" pour sauvegarder leur patrimoine.

Mais il n'a pas été possible, pour la série, de rendre hommage au travail de certains cinéastes, "parce que rien n'a été numérisé, il y a des copies 35 mm qui existent aux Archives du Film, mais quand aucun travail n'a été fait, prendre un extrait est extrêmement cher", explique Bertrand Tavernier. Si les œuvres de cinéastes connus tels que Jacques Becker, Jean-Pierre Melville, Jean Renoir sont aujourd'hui accesibles, les films d'autres réalisateurs demeurent invisible, faute d'avoir été restauré. Le film Voyage à travers le cinéma français a aidé "un bon nombre de films" à être restaurés "et la série va aider là-dessus" également, rapporte le cinéaste. "Un type comme André Berthomieu, il parait que deux ou trois de ses films tiennent le coup: impossible de les trouver ! Certains films de Jean Boyer non plus".

Le cinéaste a toutefois contribué à faire ressortir Remous (1934) de Gréville, qui "n'était pas disponible depuis 30 ans, dont il n'existait même pas de VHS". Plus récents et pourtant "impossibles à obtenir, alors que j'ai été son attaché de presse", rappelle-t-il: les films de Claude Chabrol tels que Le Boucher (1970) ou Que la bête meure (1969). Il en va de même pour Le temps de vivre (1969) de Bernard Paul,  Pierre et Paul (1969) de René Allio, O salto (1967) de Christian de Chalonge "qu'on a montré à l'Institut Lumière", ou encore La loi du survivant (1967), le "premier film de José Giovanni, avec Lino Ventura: introuvable !", égrène-t-il avec regret. "Quand par hasard des gens de Pathé, de Gaumont, de TF1, de M6 arrivent à remettre la main dessus, tout d'un coup les films sont restaurés, ressortent… ". Mais "il y a des trous, parce que le matériel manque", en particulier dans les années 60 et le début des années 70. "C'est presque plus facile de voir des films des années 30, car le souci de préserver les films, quand il est né, s'est porté sur cette période où il y avait des trous énormes…".

 

Rébecca Frasquet

Catégories : Lecture Zen