Posté le 20.10.2017 à 12H00
En dix films stratégiques, le cinéaste mutant Wong Kar-wai dresse un portrait chinois d’un cinéma jeune, romanesque, acrobate et documentaire, issu d’un passé immédiat. Lumière c’est aussi ça, faire pour la première fois une mise en perspective du cinéma du XXIe siècle ! Le résultat est étonnant, entre songe et réalité.
You are the Apple of my Eye (Giddens Ko, 2011), Blind Massage (Lou Ye, 2014), Le Rire de Madame Lin (Zhang Tao, 2017) et Durian Durian (Fruit Chan, 2000) : des films saturés d’explorations sensorielles chères au Wong Kar-wai version Chungking Express (1994) ou In the Mood for Love (2000). Le petit peuple urbain qui gigote est au cœur de ces œuvres, qui s’intéressent à la jeunesse et à ce que la Chine moderne, hybridée d’occidentalisme, lui permet d’improviser. Durian Durian porte en cela la grande beauté de la vie quotidienne, avec le bruit des claquettes sur le bitume, des petits sacs plastiques manipulés et de la franche dureté silencieuse. Sa jeune héroïne en quête d’avenir se prostitue doucement au milieu de l’énergie chaotique d’un Hong Kong aux impasses étroites et chaudes, avant de retourner affronter le froid tétanisant des paysages larges de la Chine rurale – en s’arrêtant pour écouter quelques acrobates chanter l’Internationale avec un son avarié an 2000. Graphique et profond.
Rigor Mortis (Juno Mak, 2014), The Master (Xu Haofeng, 2015), Breakup Buddies (Ning Hao, 2014), P.T.U. (Johnnie To, 2003), Infernal Affairs (Alan Mak, Andrew Lau, 2002), Crazy Kung-Fu (Stephen Chow, 2004) : de l’horreur, du kung fu, du wu xia pian, du polar, de l’historique fantastique et comique ! Le point commun de ces œuvres : la chorégraphie, un sens du mouvement emballant qui a tout à voir avec le Wong Kar-wai des Cendres du temps (1994) ou The Grandmaster (2013).
Il faut se ruer voir P.T.U., nuit de flics feutrée dans un Hong Kong désert. Au milieu des brillances aluminium du bas des buildings, les corpulences des personnages entravent ou au contraire rendent particulièrement alertes, fuyards et poursuivants. On s’attache comme des brutes à l’un de ses héros moche, abîmé, vivant jusqu’au charme.
Infernal Affairs lui répond avec les stars Andy Lau et Tony Leung. Cette traque tragique au traître est un ballet technologique dernier cri – le premier grand film de téléphones portables ! – pour déjouer les manipulations les plus ancestrales. Un héros est éduqué pour trahir et servir les triades. Son opposé, du même âge, doit le démasquer. L’histoire est si biblique et terrassante qu’elle fut adaptée par Martin Scorsese avec Leonardo Di Caprio et Matt Damon. Il faut découvrir l’original hong-kongais, poreux, poisseux, marqué.
Mais la grande joie de cette carte blanche si intelligente, c’est évidemment Crazy Kung-Fu du très beau réalisateur et acteur au physique si fin, Stephen Chow ! Un peu comme si Il était une fois dans l’ouest croisait Matrix et tous les Tex Avery. Rien de moins. De l’humour avec du charme et une fin poétique. Et toujours et encore, la Chine ! Ici elle est ancienne, historique, passée dans une lessiveuse afin de lui ôter tout caractère sacré qui paralyse. En héros cartoonesque, sorte de Peter Sellers dans The Party, Chow débarque dans un petit monde tyrannisé par les conventions d’une société d’argent et de pouvoir, et sème un trouble très imaginatif. Oh oui !
Virginie Apiou