Faut pas s’en faire

De 1920 à 1930, Harold Lloyd jouit d’un incroyable succès, à Hollywood comme en France. Magnat du burlesque, il signe avec Faut pas s’en faire un modèle du genre.

Personnage lunaire, Harold ne comprend décidément pas grand-chose au monde qui l’entoure. À peine le riche Américain a-t-il posé un pied sur l’île que les gags fusent. Toujours tiré à quatre épingles, il flâne avec désinvolture, prenant les chefs de factions pour des grooms, ajoutant son nom au bas de la liste des condamnés comme on signe un registre d’hôtel. Sur un malentendu, il échoue derrière les barreaux et y rencontre le géant Colosso. Dans leur malheur, les prisonniers sympathisent. Bien décidé à résoudre ce conflit d’État qui nuit d’intolérable façon à sa santé fragile, le milliardaire improvise une armée fantasque à base de tuyaux, de noix de coco ou de cigares.

Harold Lloyd renoue avec son personnage de jeune premier, dont l’optimisme à toute épreuve peut mettre une armée en déroute. Mais derrière le comique de situation, c’est une critique cinglante de l’Amérique blanche qui se dessine. Débarquant sur un sol étranger en terrain conquis, Harold Lloyd incarne l’arrogance occidentale. Imperméable au spectacle du monde, il s’obstine, devant l’évidence, à ne rien voir du drame qui l’entoure.

Paradoxe propre à Lloyd, c’est son inconscience qui lui permet de se tirer des situations les plus inextricables. Immunisé par cette indifférence heureuse, il traverse les épreuves avec flegme. Devant cette mine réjouie et cet ahurissement perpétuel, on pardonne bien volontiers à Harold Lloyd sa chance insolente.

Armé de son célèbre canotier, le maître du slapstick livre avec Faut pas s’en faire l’un de ses films les plus habiles, bourré de trouvailles et à l’humour irrésistible.