Happy Together

Las de répondre aux questions sur l’avenir de Hong Kong alors que la rétrocession à la Chine est imminente, Wong Kar-wai décide de partir à l’autre bout du monde, à l’opposé géographique de sa ville, en Argentine. Il imagine y tourner une adaptation de The Buenos Aires Affair de Manuel Puig, mais s’en éloignera complètement. Sans finalement se détacher de ce qu’il voulait fuir : « Je me suis rendu compte que plus j’étais loin, plus je revenais à Hong Kong. Peut-être que ce film, après tout, a quelque chose à voir avec 1997. »

« Lorsque tout va bien, les amoureux sont tous les mêmes. Lorsque rien ne va plus, ils sont tous uniques dans leur manière de souffrir ou de faire souffrir. » Histoire d’amour universelle, Happy Together est totalement imprégné du tango argentin (et particulièrement des compositions d’Astor Piazzolla), qu’un ami du cinéaste avait résumé comme « l’expression verticale d’un désir horizontal ». Raconté en voix-off par les protagonistes, le film capte les fragments d’une vie amoureuse, un destin chaotique, la passion charnelle, les déchirements, la tendresse, la solitude.   Car si Lai et Ho s’aiment, se perdent, se retrouvent, ils restent, comme dans tous les films du maître hongkongais, définitivement seuls. Œuvre sur le déracinement et la peur d’être ensemble, Happy Together envisage le voyage au bout du monde (la Terre de feu) comme un voyage intérieur et solitaire.

Évidemment, les images sont de nouveau d’une fulgurante beauté, alternant noir et blanc et couleurs somptueuses. Elles sont signées par l’alter ego du cinéaste depuis son second film, le chef-opérateur australien Christopher Doyle. Un travail en osmose et une confiance réciproque, consignés par Doyle dans son journal de tournage : « Wong dit que c’est seulement quand il monte son film qu’il trouve le sens de la plus grande partie de ce qu’il a tourné. Nous ne savions pas vraiment, au moment du tournage, ce que voulaient dire certains détails, certaines couleurs, certaines actions. Ils anticipaient le point où le film nous emmènerait. Ils étaient des images du futur d’un temps où nous venons juste d’arriver. » (Christopher Doyle’s Photographic Journal of Happy Together, a Wong Kar-wai’s film, City Entertainment Book, cité dans Positif n°442, décembre 1997)