L’Étrange Incident

Les années 1940 marquent le début d’une ère prospère pour le western, genre jusqu’alors négligé par les majors et relégué au rang de série B. À la tête de ce nouvel élan se trouve la Twentieth Century Fox de Darryl F. Zanuck. Lorsque le cinéaste William A. Wellman s’éprend de l'âpre roman de Walter Van Tilburg Clark, Zanuck lui donne carte blanche. Le producteur ne croit pas au potentiel commercial du film, mais souhaite apposer son nom au générique, convaincu de sa future importance.

Sept ans après Fury de Fritz Lang, c’est au tour de Wellman de dénoncer l’atrocité du lynchage et d’une justice expéditive. Cinéaste prolifique et estimé, l’auteur de L’Ennemi public ou d’Une étoile est née, livre avec L’Étrange Incident, un western noir et anticonformiste, à la violence sourde.

Alors que la foule, ivre de vengeance, entreprend son expédition punitive, le film s’accélère. Dans les rangs, la colère enfle et s'expose en un spectacle révoltant. Un style concis, sans ornements et une intrigue resserrée à son maximum accentuent encore le tragique de la situation. Le message n’en est que plus brutal.

Avec une admirable finesse, Wellman construit un drame psychologique, porté par des personnages ambivalents. Le héros wellmanien est faillible et sa morale est trouble. Henry Fonda et Dana Andrews dominent le film par la puissance de leur interprétation.

En abordant le sujet de la conscience et de la responsabilité collective, Wellman signe un film militant en faveur de la présomption d’innocence. Devant sa caméra, le western affiche les craintes et les fautes de la société américaine.

L’Étrange Incident rencontre un succès modéré dans les salles, mais la critique chante ses louanges et le film décroche une nomination aux Oscars.

« L’un des plus authentiques chefs-d’œuvre du genre, […] L’Étrange Incident est bien, comme on l’a dit, le premier western adulte et celui qui, historiquement, ouvre l’âge d’or que Ford fermera d’un battement de porte au tout dernier plan de La Prisonnière du désert. » (Christian Viviani, Positif n°396, février 1994)