Le Procès

Tombé en disgrâce auprès des studios hollywoodiens, Orson Welles quitte définitivement les États-Unis à la fin des années 1950. En 1962, le cinéaste livre sa relecture du célèbre roman de Kafka, Le Procès. Le film s’impose comme une des œuvres les plus personnelles et les plus abouties de la carrière européenne du réalisateur.

Désireux de tourner avec Welles, les producteurs Miguel et Alexander Salkind promettent au cinéaste une indépendance totale. Jusqu’alors condamné aux contraintes et conflits avec la production, Welles jouit ici, de la conception au montage final, d’une liberté telle qu’il n’en avait pas connu depuis Citizen Kane. Il peut ainsi laisser libre cours à sa vision personnelle du roman.

La rencontre Welles-Kafka s'opère autour d’un motif commun, la culpabilité, qui travaille sourdement l’œuvre des deux maîtres. Mais si le scénario du Procès suit de près l’intrigue originale, Welles emprunte des voies radicalement différentes et tire le film du côté de la fable hallucinée.

Tournant à Paris, dans la gare d’Orsay alors désaffectée, le cinéaste construit une architecture complexe et labyrinthique. Dans un noir & blanc expressionniste, Welles invente un univers absurde, équivalent formel de l’angoisse grandissante de K. Le héros kafkaïen, en proie à une culpabilité qu'il ne s’explique pas, se perd dans des dédales de couloirs bas, au cœur d’un tribunal sibyllin dont il ne réchappera jamais.

« Fidèle à l’esprit du roman, le film est cependant loin d’en adopter le style. Sur ce plan, Welles a préféré rester fidèle à Welles, plutôt qu’à Kafka. […] Pour exprimer le fantastique kafkaïen, il a recours à la panoplie expressionniste : décors inquiétants, angles déformants, lumières étranges et mouvantes, tout contribue à notre fascination et notre trouble. Kafka avait rédigé un procès-verbal, Welles en fait un poème romantique sur lequel plane l’ange du bizarre. Il n’aurait de toute façon pas pu faire autrement. […] C’est tant mieux pour notre œil, pour nos sens, pour notre goût du cinéma : nous voilà enrichis de quelques rares pièces d’anthologie. (Pierre Billard, Cinéma 63 n°73, février 1963)